Bogotá, 2 décembre

L’onde de Larry, c’est la cuisine d’un restaurant péruvien qu’on n’aura finalement pas goûtée, avant son retour à Lima. C’est une énorme tranche de bidoche le premier soir dans le quartier touristique de La Candelaria, face à son récit historique du pisco sour qui-n’est-vraiment-bon-qu’au-Pérou-et-pas-du-tout-au-Chili, et ses lunettes à large bord, délicieuse réminiscence des hipsters de Brooklyn dans son visage andin.

L’onde de Manuel, c’est l’arrivée d’un ami de Lisbonne confirmée l’avant-veille, pour tirer du lit le siesteur professionnel au matin, pour refaire le monde à chaque coin de rue, pour garder deux places côte à côte à deux inconnues dans le Transmilenio, le bus qui mange les rues par centaines.

L’onde de Felix, c’est une encyclopédie musicale, barbue et jamais sortie de Colombie, abordée en attendant le concert, pour comprendre ce que l’on va écouter, pour refaire le monde à trois, pour l’entendre détailler sa méthode d’enseignement d’espagnol par des chansons latinas, et raconter les guerrillas de son pays et les pièces de 200 pesos qui rétrécissent, car le nickel de la Banque de la République s’épuise.

L’onde de Lisseph, c’est le regard vert fusant dans la pénombre moite et euphorique du concert, c’est un dialogue non verbal, c’est une disparition soudaine.

L’onde de Fernando, c’est une visite guidée à vélo, c’est les gags faciles d’un étudiant joyeux racontant la politique colombienne aux Européens et aux Australiens, c’est une phrase tout à coup fulgurante, qu’il prononce dans son anglais simple, un doigt sur le plan de la ville, détaillant la succession des quartiers : « Cher, pauvre, cher, pauvre, cher, pauvre. C’est ça, Bogotá. »

L’onde de Bogotá, c’est un fruit qui sonne (« lulo ») et qui se savoure comme un baiser, c’est des souvenirs de football des années 1990 dans un pub irlandais en compagnie d’un bienveillant Rolo (ainsi s’appellent les habitants de la capitale) ami d’amie, c’est une bibliothèque où l’on échafaude des esquisses d’articles et cherche à mieux connaître le pays où l’on débarque, c’est des lumières de Noël sur tous les arbres de tous les parcs inaugurées le 1er décembre, c’est une prof d’uni en congé payé qui croise un homme nettoyant les pare-brise avec son pull, c’est de la pluie et du soleil et de la pluie et du soleil.

L’onda trópica, c’est un collectif de musiciens colombiens entre 25 et 82 ans, qui brasse un vendredi soir au Cuban Jazz Café le regard de Lisseph et l’encyclopédisme de Felix, le goût du lulo et la démarche des Colombiennes, c’est un métissage de siècles mélodiques de trois continents qui transporte deux types, plus grands que la moyenne du public et qui ne savent que répondre à la question « combien de temps restez-vous à Bogotá ? », dans le plaisir pur du rythme.

 

trope [tʀɔp] nom masculin. Rhét. Figure* par laquelle un mot ou une expression sont détournés de leur sens propre.