Altos de la Florida, c’est un peu tous les problèmes de la Colombie réunis. Un bidonville qu’on ne trouve pas sur les cartes, bâti il y a 35 ans à flanc de colline dans le territoire municipal de Soacha, en banlieue de Bogotá. Pas d’eau courante, mais des grandes citernes à remplir régulièrement, noires, marquées des lettres Tankplast ou Eternit (fabricant suisse). Adrián, 17 ans : « On paie 2000 pesos [environ 1 franc suisse] pour 50 ou 60 litres. C’est cher. »

La pauvreté. C’est un programme de l’ONU qui permet aux 3000 familles de ce quartier de disposer de ces citernes, ainsi que de certains matériaux de construction. En échange, ils doivent cultiver leur jardin : des légumes à faire pousser dans des petits carrés d’herbe disséminés entre les ruelles de terres et les maisons de briques ou de broc, protégés par des bâches vertes. Une petite bibliothèque, une cafétéria pour les enfants du lieu ont été mises en place par les sœurs de l’Ordre de Saint Vincent de Paul. En haut de la colline, un arbre est appelé « arbre de l’amour », pour avoir permis d’innombrables enfantements à l’époque où la précaire favela n’offrait aucun lieu d’intimité.

La drogue. Le calme Adrián, qui veut étudier l’informatique, a été « retiré à temps des griffes des trafiquants », selon sœur Norma, qui travaille depuis douze ans avec cette communauté, ce qui se voit : à chaque coin de rue, on l’embrasse, on lui ouvre les portes, on demande à lui parler un instant. Álvaro Ortiz, représentant du pouvoir communal sur cette colline, murmure dans sa moustache que « des jeunes ont commencé à mal se comporter ».

Les violences entre la guérilla et les paramilitaires, liées bien sûr au problème précédent. Toujours selon Norma (fait avéré, ou non ? Comment savoir, en ne passant que quelques heures dans ce lieu, en remontant dans le bus avant la tombée de la nuit ?), les habitants d’Altos de la Florida ont reçu la semaine passée une liste de jeunes que des groupes paramilitaires veulent tuer, pour appartenance supposée à la guérilla.

La répartition des terres. Quelques types malins ont vendu, parfois plusieurs fois de suite, des terrains qui ne leur appartenaient pas. Aujourd’hui la vingtaine de propriétaires légaux d’Altos de la Florida, héritiers d’héritiers d’une répartition territoriale datant de la colonisation, demandent réparation. Álvaro, qui a acheté il y a 9 ans sa maison, l’une des plus vastes, pour 6,5 millions de pesos (environ 300’000 francs), devra la payer une deuxième fois. Des négociations impliquant l’Etat sont en cours, les habitants ayant résisté à plusieurs tentatives d’expulsion. La Colombie figure parmi les pays connaissant le plus grand nombre de déplacés internes, et pour certains des résidents d’Altos de la Florida, un départ forcé signifierait un troisième déplacement, après avoir été chassés de la côte pacifique par les groupes armés.

L’industrie d’extraction. Sans commune mesure, ici, avec la fulgurante croissance des projets miniers partout en Colombie, aurifères, surtout. Mais lorsque Álvaro m’emmène sur une corniche faisant face à une autre colline, dont les flancs ont été découpés par des pelleteuses, la vallée s’ouvre sur une route couverte de sable. Et les camions défilent, chargés de pierres ou de terre, de briques des fabriques dont les toits s’allongent parmi les arbres en-dessous de nous. L’air est suffocant. Dans cette vallée, on extrait aussi du charbon, on fabrique de la poudre explosive. Beaucoup de mineurs sont illégaux, et travaillent de nuit.

Les fumeroles et la poussière se mélangent. Álvaro se penche au-dessus du fossé ; les premières maisons ne sont qu’à quelques dizaines de mètres de nous. « S’ils continuent à extraire dans cette direction, il y a un risque de glissements de terrains. » Il parle tout doucement, comme Adrián, comme son fils Brandon aux yeux bleus, en train de jouer de la guitare dans l’une des maisons d’Altos de la Florida, à quelques chiens errants de là.

 

Les photos de ce post ont été prises par une équipe de reporters âgés de 10, 15, 28 ou 32 ans : Alex, Darwin, Andrea, Bruce Springsteen et Manuel.

Un grand, très grand merci à Sœur Nohemy, Sœur Norma, aux étudiants de l’Université DePaul de Chicago et surtout à Guillermo « James Bond » Campuzano, pour nous avoir spontanément invités à partager cette riche journée.