Les aveugles et les chemins

Dernier jour en Amérique du Sud. L’incrédulité l’emporte. C’est que je n’ai eu ni le temps, ni l’état d’esprit nécessaires à vivre cette ville autrement que comme un port de passage.

Avant de partir, je pensais m’installer au moins un mois à Buenos Aires, y nouer des liens, y apprendre les bases du tango, y faire même un stage dans un journal. Je pensais prendre un bateau, traverser l’estuaire de la Plata, et aller faire du cheval en Uruguay. Mais je me suis égaré avec bonheur sur les chemins du continent, je n’ai tenu aucun délai auto-imposé, sauf le dernier : la date du retour, déterminée par des raisons obscures, d’autres évidentes, comme le mariage d’un frère ou une lecture publique en terres britanniques. Je me contente donc d’un seul cours de tango, d’une vie de porteño et d’un Uruguay champêtre imaginés, et des derniers arpèges, forcément dissonants, du voyage : un livre qu’on m’a recommandé tant de fois, acheté chez un antiquaire un peu sourd ; les rues taguées de San Telmo, arpentées tranquillement ; la Suisse-Allemande au bout du Skype qui me parle du goût des alfajores quand je lui demande pourquoi ma carte de crédit ne marche plus ; les percussions tourbillonnantes du groupe Bomba de Tiempo, dans un grand hangar culturisé du quartier d’Abasto, me renvoyant par transes intermittentes les vibrations et les silences des sept derniers mois. Et une équipe d’aveugles, marchant de front sur le chemin d’un parc du quartier de La Boca, conduits par un seul homme aux yeux clairs. La vision de ces quelques aveugles avançant très lentement, bras dessus, bras dessous, souriant au soleil caressant d’automne, à cent mètres du silencieux stade de la Bombonera, me secouant soudain de la plus forte émotion de ces dernières heures.

L’encre de Patagonie est – presque – arrivée au point final. Vous n’y lirez pas de grand bilan de l’aventure, encore moins de grande morale de l’histoire. Tout au plus un poème, écrit par Neruda. Encore un foutu romantique, celui-là…

Hay un cementerio de abejas
allá en mi tierra, en Patagonia,
y vuelven con su miel a cuestas
a morir de tanta dulzura.

Es una región tempestuosa,
curvada como una ballena,
con un permanente arco iris
como una cola de faisán :
rugen los saltos de los ríos,
salta la espuma como liebre,
restalla el viento y se dilata
por la soledad circundante :
es un círculo la pradera
con la boca llena de nieve
y la barriga colorada.

Allí llegan una por una,
un millón junto a otro millón,
a morir todas las abejas
hasta que la tierra se llena
de grandes montes amarillos.

No puedo olvidar su fragrancia.

 

(Pablo Neruda, Fin de mundo)

2 Responses to Les aveugles et les chemins

  1. Kayam

    Gracias para todos tu siestas………. palabras………… fotos……………….

    et pour te consoler un tout petit peu, lorsque l’on rentre de beaux voyages, c’est dur, très dur,
    mais il faut se dire qu’il vaut mieux rentrer que de n’être jamais parti.
    Et que notre « peine » est bien dérisoire……………

    gros becs notre RufRuf

  2. Dan

    A toute vieux!!!!

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