Yasuní et le pétrole (2/2)

Des vieilles maisons en bois, une école, une plantation de cacao financée par la fondation Repsol, une cabane d’ordinateurs financée par Eurosolar, une maison communale en béton étouffant financée, comme le Lodge, par la compagnie pétrolière américaine Occidental, il y a treize ans.

Ce week-end de début février, la salle communale est occupée successivement par le conseil exécutif et l’assemblée générale de la communauté. Au menu du premier, comme de la deuxième : 1. Sani Lodge, quasi unique pourvoyeur d’emplois dans le village, ou comment en tirer davantage parti ; 2. l’école, ou la difficulté d’obtenir des profs de qualité de l’Etat équatorien ; 3. PetroAmazonas, ou la crise qui secoue et déchire depuis des mois la communauté, depuis que la compagnie pétrolière étatique a recommencé de vouloir explorer le territoire de Sani Isla, depuis que l’ancien président, Pablo, a signé un contrat avec elle pour l’y autoriser, au grand dam des nouvelles autorités. Et enfin, 4., carnaval, combien de poulets va-t-on commander, cette fois ? La dernière fois, il y en avait quinze, et on nous les a volés le premier jour, compañeros.

 

On boira de la chicha, cette boisson tuberculée légèrement alcoolisée, on transportera les caisses de bière du rivage au bar de Mama Guadalupe qui ne s’exprime qu’en sa première langue, le Kichwa, on partagera nos tupperwares de midi fournis par le Lodge avec cet ami taciturne du bavard Omar qui n’aura pas arrêté de les zyeuter. On parlera à Leonardo, le nouveau président du village au discours comme appris par cœur ; à Orlando, le père de Fredy ancien shaman, qui avait négocié – très avantageusement – avec Occidental il y a treize ans ; avec Blanca, mère de sept enfants aux yeux intenses, prête à « saisir une machette ou une lance » pour empêcher PetroAmazonas de débarquer sur les rives de Sani Isla ; avec Guadalupe qui, petite, s’enfuyait en courant lorsqu’elle voyait des étrangers ; avec Oscar, élégance de 71 ans, se souvenant du temps où il fallait trois jours pour arriver à Coca, en ramant. Avec Pablo, même, embarrassé, méfiant, assis sur les gradins de foot et justifiant sa décision de pactiser avec le diable pétrolier d’un geste de la main : « Regardez autour de vous : rien de ce qui est ici, ces maisons, cette école, n’a été payé par nous. Nous n’avons rien. Et le Lodge ne va pas bien. » PetroAmazonas lui a promis une compensation financière pour chaque hectare exploré. Et plus d’argent pour l’école, les bourses d’études, la santé…

 

Ces visages d’une minuscule communauté qui, il y a cinquante ans, ne connaissait rien du monde extérieur, qui perd la faculté de vivre de la forêt, mais n’a que très peu accès à une formation de qualité qui lui permettrait d’être mieux armée pour survivre dans notre monde occidental. Une communauté assise, peut-être, sur du pétrole, qu’elle refuse désormais de toutes ses forces, mais dont le gouvernement de son pays-par-accident a tant besoin pour financer ses routes, ses programmes sociaux, comme pour recevoir les prêts des Chinois.

Quelques habitants de l’Amazonie qui, réunis dans la touffeur d’une salle déjà vétuste, tentent de garder le contrôle de leur avenir, face à des intérêts d’une ampleur qui les dépasse, des acteurs mille fois mieux organisés. Sani Isla, contenue par le bloc numéro 12 du découpage pétrolier de l’Amazonie, sera peut-être un jour au bord d’une autoroute fluviale : Manta-Manaus, un projet des gouvernements équatorien et brésilien qui vise à éviter le canal de Panama pour les marchandises venant d’Asie, passera sur le río Napo, juste devant ses arbres.