Poste restante

Bogotá-Medellín, 18-19 décembre.

Il vous reste quelques heures à Bogotá ? Pourquoi ne pas envoyer un paquet à votre neveu pour Noël, avant d’embarquer pour dix heures de bus à destination de Medellín ?

C’est l’après-midi, il pleut des hallebardes, vous traînez une petite mélancolie à l’idée de quitter cette ville de gaz d’échappements et de librairies. Cette ville et ses métrobus qui vomissent leurs passagers sur des quais de métal, ses taxis volubiles « si moi j’étais backpacker, j’aurais un chino (gamin) dans chaque pays », ses cafés-galeries où l’on entre en transe par la salsa, ses riches jeunes diplômés qui ont du travail mais s’emmerdent un peu, ses gardes de sécurité à moitié assistants sociaux, sauf ceux qui ont des mitraillettes interminables, dans le quartier de Rosales, près d’une résidence du président Santos, mais qui jouent sur leur smartphone, parce que le loup n’y est pas.

Oui donc, c’est l’après-midi, quelques jours avant Noël, il est temps d’envoyer un cadeau à votre neveu de bientôt six ans. Vous avez le jouet. Vous avez l’enveloppe. Vous avez l’adresse. Et même une dizaine de cartes postales et de vœux que vous traînez depuis une semaine dans votre sac et même s’il est de marque Supersac, ce n’est quand même pas le sac d’Houdini, c’est bien de le vider de temps en temps, d’ailleurs il y a un vieux ticket de métro marseillais qui traîne, vous n’auriez pas fauché ce Supersac à votre superfrangin ?

Bref, vous avez le jouet pour votre superneveu, vous avez donné un bel air rafistolé digne d’un oncle d’Amérique à votre enveloppe grâce à l’inefficacité d’un rouleau de scotch bon marché de la papeterie Panamericana (7e avenue), et ensuite ?

C’est très, très facile. Il n’y a pas de service postal en Colombie. Que des coursiers privés du style FedEx. On vous a indiqué que l’un d’entre eux se trouvait à côté du Musée de l’Or. Vous vous renseignez auprès d’un vendeur dans un marché d’artisans. Vous dites : paquet à envoyer, il sourit. Vous dites : courrier, poste, il répond : Internet ? Vous dites : lettre, carte postale ? Envoyer ? Il sourit et dit qu’il n’est pas sûr de comprendre. Vous sortez de votre Supersac les cartes et le paquet, il dit : ah ! et demande à sa collègue, qui demande au garde de sécurité à moitié assistant social, qui vous envoie deux rues plus loin, chez Servientrega. Chez Servientrega, on vous informe que l’envoi du superpaquet vous coûterait 60 francs et qu’il vaut mieux essayer ailleurs, par exemple chez le concurrent Deprisa. Rien de plus simple. Vous longez deux rues de plus et vous voilà chez Deprisa (qui signifie « vite »).

Comment ça va ? vous demande le monsieur à lunettes avant de vous informer que chaque carte postale vous coûtera 7 francs pièce à l’envoi et arrivera quatre à cinq semaines plus tard. Vous avez une tête de merlan frit, alors le monsieur à lunettes vous propose de tout envoyer en recommandé à une seule adresse, les cartes et le paquet, pour que l’heureux destinataire se charge de répartir le contenu, lorsqu’il le recevra dans trois (ou quatre) jours. Et tout cela pour 50 francs. Facile. Oui bon, vous dites, c’est d’accord. Très bien, dit le monsieur à lunettes. J’ai besoin de votre passeport s’il vous plaît. Pour envoyer une petite voiture et des cartes postales ? Oui. Vous ne l’avez pas. Très facile, il est passé dix-sept heures, le temps d’aller le chercher à l’hôtel, la grille sera retombée sur l’entrée de Rapidos & Cie. Rien de plus simple, vous rentrez manger un plat de riz, et vous réessaierez à Medellín.

A Medellín, rien de plus facile, après avoir regardé Gladiator dans le bus de nuit, vous vous rendez à l’office Plusvitequeça planté dans le parking du centre commercial du quartier bourge où se terrent les auberges de jeunesse. Vous avez de nouveau oublié votre passeport. Mais ce n’est pas grave, votre ami portugais signera pour vous. Huit fois. En déposant, huit fois également, son empreinte digitale sur les feuilles de la bureaucratie anti-drogue que la dame qui vous a fait déballer la petite voiture, et évaluer monétairement chaque carte postale, lui soumet.

Vous lui tendez, à la dame, deux billets de cinquante mille pesos et la regardez fourrer les cartes et le paquet défistolé dans une grande enveloppe UPS. Voilà. Votre ami a l’index tout mauve. Rien de plus simple : vous avez envoyé un paquet depuis la Colombie.

Photos de Fernando Rojas

One Response to Poste restante

  1. Dan

    Joyeux Noël sudiste mon gars!
    Tu nous manques ici!

    Mais bon, c’est plutôt nous qui sommes à plaindre. Toi tu as le Père Noël ET les filles en bikini.

    Enjoy your time!!!!

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