Le chêne de Capitol Hill

Presque fictif (4)

Cela fait quelques décennies que je suis planté là, et je n’ai pas l’intention de bouger.

Je crois que c’est un lieu important pour les bipèdes de cette partie du continent, une ville capitale, l’ont-ils même appelé, cet endroit. Ils y ont construit des tas de mémoriaux en très dignes pierres blanches, des grandes allées calmes et propres, des promenades le long d’immenses édifices à escaliers et colonnes immaculées, dans lesquels ils exposent, à gratuité, beaucoup de choses. Leurs plus grandes réalisations, parfois des morceaux de tissu d’un mètre carré constellés de couleurs, parfois des machines volantes grandes comme des baleines ; de nombreux bibelots, bouts de terre-cuite ou de papier relié, qu’ils encadrent de panneaux explicatifs, sans doute pour ne pas oublier tout ce qu’ils ont dû endurer et faire endurer pour réaliser leurs baleines volantes et leurs toiles colorées ; une quantité incalculable d’autres animaux qui ont l’air plus vrais que nature, mais dont il ne reste que la peau, sans doute pour ne pas oublier le peu de choses qui les distingue d’eux : les baleines volantes et les toiles colorées.

Et ce n’est pas tout : les bipèdes de cette partie du continent, pour mieux se distinguer encore des quadrupèdes qu’ils empaillent, se sont dotés d’un gouvernement, de représentants, de lois et de juges, et ils ont tout concentré ici, à deux pas de moi : une baraque pour le chef des bipèdes, une grande coupole en guise de salle de délibération, même un faux temple à colonnades pour archiver tous, absolument tous les bouts de papier qu’ils impriment, sur ce coin de continent et ailleurs. Tout cela en blanc, très propre, ordonné, imposant, orné de ces morceaux de tissu (encore !) que les bipèdes de cette partie du continent ont peint en rouge, blanc et bleu et décrété le plus haut symbole de l’importance de leurs unions (et désunions).

Oui, oui, cela fait bien, dans le soleil couchant. Cela fait vieux et respectable. Cela donne à méditer. Mais, franchement, sans nous, toute cette solennité ferait un peu kitsch, non ? Sans nous et nos cousins les brins d’herbe. Il manquerait un peu de matière à leur saint des saints. Un peu d’ombre à leurs bancs. Un peu de mystère à leurs collines patriotiques. Moi, je pense qu’ils ont inconsciemment une certaine peur d’eux-mêmes, les bipèdes. Pour nous avoir offert l’espace au cœur de leur ville capitale, et les très dignes pierres blanches comme écrin…

Washington, 23 novembre 2012.

2 Responses to Le chêne de Capitol Hill

  1. Andy Hix

    C’est plus beau a 7 chenes!

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