A bientôt, l’Europe

Algeciras, 3 novembre

On a appelé père et mère, grand-mère aussi, envoyé quelques cartes postales, acheté du chocolat suisse d’Espagne pour offrir aux marins inconnus, une lampe torche et des mouchoirs ; on a fait laver ses vêtements par la maternelle propriétaire de l’Hostal de la Palma, où le wifi ne marche qu’au rez-de-chaussée.

En deux jours, on a pas mal erré dans cette ville, marocaine par endroits mais avec de la pluie, à la recherche de choses idiotes : un coiffeur, des cure-dents. On a écumé deux ou trois locutorios tenus par des Karim ou des Fatima pour scanner, skyper et imprimer. On s’est étonné, puis on a décidé de prendre à la rigolade le constat indéniable que dans les rues d’Algeciras, il y a un nombre invraisemblable d’individus louches ou patibulaires qui errent eux aussi, traînassent, attendent, vous dévisagent ou jettent leur petite monnaie sur le comptoir sale pour payer leur bière à un tenancier gras et globuleux, qui communique essentiellement par borborygmes andalous avec ses clients, ce qui a l’air de suffire amplement.

Algeciras, « l’île verte » pour les colons arabes du VIIIe siècle, à un vol de mouette de l’Afrique, si espagnole et pourtant si opposée à San Sebastián, tout là-haut dans le même pays : c’est par cette porte discrète, à l’ombre du rocher de Gibraltar, que je quitte l’Europe. Et je n’ai même pas eu le temps d’évoquer correctement la lumière qui abonde à Lisbonne, les petits fantômes que j’ai vu courir sur la Puerta del Sol à Madrid le jour d’Halloween, l’hospitalité d’Heidi et Javier, et de Manuel, ni le gilet beige du Japonais sexagénaire partageant mon compartiment au retour de Lisbonne, fêtant sa retraite par deux mois de voyage en Europe, et qui, quand je lui ai dit que j’étais parti pour six mois, a eu une expression de stupéfaction mêlée de rejet, du genre : c’est trop long pour moi…

A 14h, ce samedi 3 novembre, je serai au terminal Isla Verde du port d’Algeciras, pour embarquer sur le cargo battant pavillon allemand Hanjin San Diego (294 m de long sur 32 de large, capacité : 4545 containers, date de naissance : 1997). J’en débarquerai autour du 12 novembre, à New York. D’ici là, « L’encre de Patagonie », au large et sans connexion, vous laissera mijoter sans donner de nouvelles. A moins que… ?

A bientôt depuis l’Amérique (du Nord) !

 

 

 

4 Responses to A bientôt, l’Europe

  1. Alain Guerry

    Bonne traversée !

  2. Fanny Wobmann Richard

    Bon vent Matthieu! J’espère que tu n’auras pas trop le mal de mer! et on se réjouit de la suite du récit.
    Becs

  3. Dan

    Oublie pas de te faire des copains dans l’équipage philippin, ça te garantira quelques soirées mémorables! Même « cultes »! Et surtout, écris un roman en dix jours! T’as rien de mieux à faire! Des bises

  4. Kayam

    Aaaaaaaaaaaaaaaaaah vous aussi vous voyagez en cargo????
    trop top 1 de mes meilleurs Amis fait aussi comme ça depuis des années: il vit des traversées fantastiques et tellement authentiques.
    bon voyage les Petits Marins d’eau salée. bizzzzzzzzzzzzzzzzzz de Faby-Kayam

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