Saint-Jean-de-Luz, mardi 16 octobre au soir.

- Alors, Daniel, barboter dans l’Atlantique pour la première fois de ta vie, ça te fait quoi ?

- Ben pour tout te dire, je pensais que ça serait plus intense… Il n’y a pas vraiment eu de choc cosmique, si tu vois ce que je veux dire. Bon, faut préciser qu’après douze heures de train dans les dents,  n’importe quel vague plan d’eau, dans ce crépuscule basque, m’aurait fait plaisir.

- Vague plan d’eau, vague plan d’eau… Tu as quand même couru vers le fracas des vagues comme un cabri des Pyrénées. Et puis pendant les douze heures de train, tu as lu en entier L’Appel de la route, ce petit livre d’un Patagonophile, et aussi le journal, pendant que moi, je dodelinais. Et la galette de sarrasin du soir, mijotée par notre hôte Jean-Vincent, comment ?

- Une merveille d’équilibre aigre-doux, avec ce petit confit d’oignon du cru ! Et les tomates, la couche de fromage moelleuse, l’œuf, le jambon et le petit Ricard sous le coude… Sans parler du but français à la nonante-quatrième minute, devant un stade espagnol assourdi ! De quoi se souvenir qu’on est à un jet de pierre de la frontière. L’Espagne au bout des doigts, et puis après, ce gros océan plat, et puis plus loin… Tu réalises que t’es parti pour six bons mois, là ?

- Ben non, tu penses bien. L’Espagne, ça fait un moment que je l’ai sous les doigts. Mais le gros machin plat ? Le port Elizabeth de Newark ? Les rues de Bogotà ? Cela me paraît encore irréel, un peu comme un but suisse contre l’Espagne. Alors pour l’instant, on va se concentrer sur nos Basques, leurs montagnes et ton Atlantique. OK ?

-          Ça me va. Et promis, demain, si on se baigne dans l’océan, j’essaierai de m’esbaudir franchement et sans arrières pensées… Hé, j’y pense, tu crois qu’il remarquera, Jean-Vincent, si on récupère en douce la petite Arvine dans son frigo en partant ? On pourrait en avoir besoin pour nos prochains hôtes…

- Sale radin de Blonaysan. Avec la dose de Ricard qu’il m’a servie… On leur donnera les belles plaques d’Ovomaltine que t’as achetées ! Allez hop, au lit.

- Okay, je prends le matelas pourri…

- Vive le droit d’aînesse.